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Frédéric Bourbon

L’Éducation nationale en zone interdite

Avec un budget de plus de 80 milliards d’euros en 2023 (1), l’Éducation nationale est le deuxième ministère le plus dépensier, derrière celui de l’Économie. Pourtant, à en croire la grogne médiatique, les salaires des enseignants sont trop faibles, le métier ne plaît plus et les résultats obtenus par les élèves témoignent d’une baisse continue du niveau. À quoi peut donc servir cette somme faramineuse, dépassant les enveloppes cumulées des ministères des Armées et de la Justice ?

L’émission « Zone Interdite » de M6 a été consacrée à ce sujet le 12 novembre 2023 (2). À la suite des nombreuses demandes de tournage refusées par les locataires de l’Hôtel de Rochechouart, les enquêteurs n’ont eu d’autre choix que de devenir eux-mêmes professeurs et surveillants pour s’infiltrer au cœur des établissements scolaires.

Certaines académies font face à un absentéisme récurrent de la part des professeurs et cela ne se limite pas aux zones dites « difficiles », terme cosmopolitiquement correct pour désigner un territoire dont le remplacement de population est accompli. Dans l’établissement infiltré par les journalistes, 20% des enseignants manquent chaque jour à l’appel, les élèves étant chaque fois mis devant le fait accompli, jamais prévenus, et errent donc des heures dans les couloirs, le travail des « pions » consisant alors à les pourchasser pour qu’ils finissent dans la salle de permanence.

Le concours du CAPES, nécessaire pour devenir professeur, a vu le nombre de candidats diminuer de moitié entre 2017 et 2023, passant de plus de 100.000 à seulement 50.000. Difficile de ne pas comprendre le faible attrait de cet emploi : il faut accepter de travailler à un endroit qu’on n’a pas choisi, le plus souvent un REP, « réseau d’éducation prioritaire » (ou un REP+, une ZEP, « zone d’éducation prioritaire », un CLAIR, « collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite », un RAR, « réseau ambition réussite », ou n’importe quel autre acronyme que le ministère utilise pour désigner les établissements sinistrés qu’il gère), quand bien même certaines administrations généreuses (avec notre argent) sont prêtes à offrir 12.000 euros aux téméraires (3). Chaque année, ce sont 3 à 5.000 postes qui ne sont pas pourvus.

Les rectorats sont injoignables, que ce soit par les parents ou les professeurs, l’affaire Samuel Paty devant à ce propos rester gravée dans nos mémoires (4). Les procédures changent en permanence, la bureaucratie règne, celle-ci étant d’abord et avant tout l’absence perpétuelle de responsabilité.

Un journaliste de l’équipe de Zone Interdite a réussi à s’y faire embaucher pour montrer l’envers du décor, qui ne surprendra que les plus naïfs d’entre nous. Ils sont assaillis d’appels de proviseurs qui souhaitent remplacer leurs professeurs absents, certains depuis plus d’un mois, sans qu’aucun remplaçant ne leur soit mis à disposition. Parmi les « remplaçants », le mille-feuilles administratif regroupe trois catégories : les titulaires sur zone de remplacement, Bac+5 et fonctionnaires, des contractuels, n’importe quel Bac+3, embauchés en CDD (contrat à durée déterminée) et des contractuels non titulaires, Bac+2 dans le domaine qu’ils enseignent, embauchés en CDI (contrat à durée indéterminée). On pourra se demander s’il y a réellement une différence de niveau et de connaissances entre un élève de terminale et son professeurs contractuel non titulaire, qui aura simplement chauffé deux ans les bancs d’une université.

Malgré un nombre insuffisant de professeurs titulaires, Zone Interdite n’a pas eu de mal à trouver un « remplaçant oublié », c’est-à-dire quelqu’un payé chaque mois par nos impôts, que l’Éducation nationale a jugé apte à enseigner et qui ne fournit pourtant aucun travail. Une telle contradiction semble inconcevable pour n’importe quel individu doté d’intelligence, mais c’est pourtant le quotidien de la fonction publique. La raison est en fait simple : le logiciel (sans aucun doute plus âgé que la plupart des lecteurs de cet article) ne permet pas d’obtenir la liste des remplaçants sans affectation. Trouver un remplaçant se fait uniquement par la mémoire et les oublis sont légion.

Tout cela à cause d’un simple logiciel ? Oui. Pourquoi ne pas le remplacer ? J’aurais honnêtement préféré ne pas le savoir, travaillant moi-même dans le domaine de l’ingénierie informatique, mais il suffit de six lettres : SIRHEN (5), et non pas six chiffres, mais bien neuf, puisqu’on parle d’une dépense de 400.000.000 d’euros. C’est la somme que l’État a investie entre 2006 et 2018 dans le développement du logiciel de gestion des ressources humaines du ministère, afin de rénover les systèmes d’information existants. Et maintenant ? Rien, le programme a été abandonné, retour à la case départ après ce quasi-demi-milliard. Personne n’est responsable, c’est de l’argent magique, après tout.

En songeant aux moyens informatiques de l’Éducation nationale, comment ne pas mentionner cette idée tout droit sortie d’un bureaucrate demi-habile : utiliser les visio-conférences pour qu’un seul professeur puisse enseigner à plusieurs classes à la fois ? Elle est à l’heure actuelle encore en phase d’essai à l’échelle d’une académie, mais elle est suffisamment édifiante et symptomatique pour que je vous décrive l’expérience : chaque classe est encadrée par un surveillant, qui passe alors tout son temps à régler les nombreux problèmes techniques, que ce soit pour faire fonctionner le vidéoprojecteur ou pour aider les élèves à utiliser leurs ordinateurs.

Comment l’Éducation nationale pallie-t-elle le manque d’enthousiasme que suscite le métier de professeur ? La méthode est simple : recruter n’importe qui. Outre les témoignages de parents d’élèves présentant les nombreuses fautes d’orthographe de la ribambelle de remplaçants, l’émission nous donne l’occasion d’assister en caméra cachée au recrutement des professeurs. Pour enseigner l’espagnol, un simple entretien téléphonique suffit. Malgré les nombreuses fautes de la journaliste, dont le niveau suffit peut-être péniblement à atteindre la moyenne à l’examen du baccalauréat, il suffira d’un quart d’heure pour que le proviseur donne une réponse favorable. On pourra noter que par déontologie, chose rare de la part des journalistes, ils ne donneront pas suite pour ne pas pénaliser les élèves.

En revanche, un autre journaliste dispose, lui, réellement des compétences requises grâce à sa licence et ses deux années en classe préparatoire, et signe son contrat sans aucune difficulté, après, là aussi, un entretien rapide, pour devenir professeur d’histoire-géographie et de français au lycée. Et comment cette nouvelle recrue est-elle formée ? Des ressources sont mises en place sur le site du ministère, c’est à peu près tout. Par « ressources », j’entends par exemple des fiches sur le rappeur Kerry James, à étudier en cours de français. Pour compenser, de nombreux didacticiels en vidéo sont disponibles sur YouTube, réalisés par les enseignants eux-mêmes, majoritairement des femmes, soit dit en passant.

Est-il réellement nécessaire de vous préciser que « les élèves sont de plus en plus agités » ? Un enseignant sur deux se plaint de la violence : le « climat scolaire » se dégrade. Ni les professeurs ni les surveillants ne disposent d’aucune autorité et la hiérarchie ne soutient évidemment jamais ses agents. Les bagarres sont quotidiennes dans certains établissements, sans qu’aucune sanction ne soit jamais appliquée, même en cas de coup au visage. Il suffit simplement que le coupable refuse de donner son carnet et continue sa route. Toute forme de contrainte physique étant proscrite, il peut simplement s’enfuir au pas.

Quel rapport avec l’immigration ? Ce n’est pas parce que les visages sont floutés et que la race ne se limite pas à la couleur de peau qu’on ne peut pas deviner ledit rapport. Les enseignants, lorsqu’ils sont eux-mêmes agressés, ne sont pas surpris de l’absence de punition. De toute manière, à quoi bon exclure un élève « turbulent » ? Dans notre pays, l’éducation étant obligatoire, il sera simplement placé dans un autre établissement, où il pourra sévir à nouveau. On déplace le problème sans jamais le régler. Surtout, pas de vagues.

« Les chefs d’établissement ont tout intérêt à faire pression pour qu’il n’y ait pas de conseils de discipline », est-il dit, à étouffer toute affaire, pour bénéficier de mutations avantageuses et de promotions. Avec de telles incitations, comment espérer que l’ordre règne ?

En septembre 2023, le pouvoir médiatique a imposé la circulaire sur l’interdiction de l’abaya à l’école comme unique sujet de discussion, alors que cela fait depuis 2004 que les signes religieux ostentatoires sont interdits. Là encore, bien entendu, les règles sont contournées, que ce soit par les élèves allogènes, mais aussi par les professeurs, pour qui faire respecter ces consignes simples s’apparente à du racisme.

Il est de notoriété publique que l’administration adore les rapports ! De l’encre et du papier gâchés, pages financées par le contribuable. Il est ainsi fait mention d’un rapport de trente pages, écrit par une vingtaine d’agents envoyés à Mayotte, pour la modique somme de 300.000 euros. À 10.000 euros la page, on espère qu’elles sont en or. L’équipe de Zone Interdite a retrouvé en Italie les vingt-cinq Français envoyés pour dresser un état des lieux de l’emploi du numérique à l’école. Certains d’entre eux n’avaient aucun lien avec l’Éducation nationale, mais ont profité du voyage, tous frais payés, pour ne donner que quelques préconisations, que personne ne lira.

Le documentaire se conclut enfin par la diffusion d’images d’établissements délabrés, aux plafonds envahis par la moisissure et aux murs fissurés. Conditions évidemment insalubres et indignes, mais qui semblent être la norme dans certaines académies. Qu’en dit le responsable des lycées de la région ? Les coupables, selon lui, sont ceux qui l’ont précédé. Nul doute que si on leur posait la question, ils feraient reposer la faute sur leurs propres prédécesseurs. Après tout, personne n’est jamais responsable de rien.

Aucune solution n’est préconisée par le reportage, bien que certains des intervenants répètent la doxa : il faudrait plus de moyens. Formulons quelques suggestions très simples : payer les professeurs selon la qualité de leurs enseignements et des résultats de leurs élèves, plutôt que de les rémunérer à l’ancienneté, ne pas imposer à un jeune professeur d’aller travailler dans le REP+ « remplacé » le plus proche, sanctionner les élèves à la hauteur de leurs actes, refuser de scolariser les cancres…

Comment expliquer que les professeurs continuent de voter à gauche ? Pour reprendre les mots de Charles Péguy : « Il faut toujours dire ce que l'on voit ; surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit. »


Notes

(4) Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine, a été décapité le 16 octobre 2020 par un musulman tchetchène parce qu’il avait montré des caricatures de Mahomet à ses élèves quelques jours avant, le 6 octobre. L’administration ne paraît pas avoir pris la mesure du danger ni accordé à Paty la protection nécessaire.

1 commentaire

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Invité
07 juin

Édifiant! Merci pour cet article concis et précis! Il faut absolument créer plus de libertés dans l'éducation, l'enseignement et en diminuer le coût totalement délirant. 40% des enfants de 10 ans et des enfants de 15 ans ne sont pas capables de lire, d'écrire ni de compter correctement, selon les propres chiffres de l'Etat français.

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