L’hybris d’un criminel de guerre ou l’aventurisme de Benjamin Nétanyahou
- Henry de Lesquen
- il y a 13 heures
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« Nous allons changer la face du monde. »
Benjamin Nétanyahou
1. Droit international à géométrie variable
Ils se gargarisent du droit international. « Ils », c’est-à-dire les politiques, les intellectuels, les commentateurs, les journalistes. Ils avaient condamné sévèrement l’agression de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, comme ils avaient condamné l’annexion de la Crimée en 2014, au nom de ce fameux droit international, qui interdirait, selon eux, toute rectification de frontières et toute agression armée d’un État souverain par un autre. Ils avaient la mémoire courte, à moins qu’ils ne fussent de mauvaise foi, car les États-Unis et leurs alliés ont agressé la Serbie pour lui arracher le Kossovo. Cette province était pourtant le berceau de la nation serbe, mais les Serbes y avaient été grand-remplacés par des immigrés albanais musulmans, devenus largement majoritaires. N’oublions pas non plus l’agression de l’Irak de Saddam Hussein par les mêmes États-Unis, qui avaient mensongèrement accusé ce pays de développer des armes de destruction massive.
Dans le cas de l’Ukraine, la Russie avait de bonnes raisons d’agir au nom du droit international à condition de ne pas faire de celui-ci une lecture partiale. S’il y a un principe que l’on puisse admettre au sein du dénommé « droit international », et c’est peut-être le seul, c’est le respect des traités : pacta sunt servanda. Or, l’Ukraine avait signé avec la Russie, après le coup d’État de Maïdan qui avait renversé, à la suite d’un complot monté par la CIA, un président jugé pro-russe, les deux accords de Minsk, en 2014 et 2015, qui garantissaient la sécurité des républiques sécessionnistes du Donbass, mais elle ne les a pas respectés et a continué à bombarder les populations civiles qui échappaient à son autorité. Ces accords avaient été conclus sous l’égide de la France et de l’Allemagne, dirigées respectivement à l’époque par François Hollande et Angela Merkel. Or, l’un comme l’autre ont avoué cyniquement, après l’invasion russe de 2022, que les accords de Minsk avaient pour seul but, dans leur esprit, de donner le temps à l’Ukraine de s’armer. Les Russes avaient été floués. Ils étaient donc en droit d’attaquer l’Ukraine, qui avait renié sa parole et violé les traités.
La Russie pouvait encore invoquer un autre principe du droit international, qui est cependant moins bien établi que le précédent : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. À cet égard, l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, dûment validée par référendum, était légitime. Cette province, peuplée essentiellement de Russes ethniques et non d’Ukrainiens, avait été rattachée à l’Ukraine par Khrouchtchev, bien qu’elle n’en eût jamais fait partie. De même, les habitants du Donbass étaient majoritairement des Russes et ne supportaient pas la politique du gouvernement de Kiev qui voulait leur imposer la langue ukrainienne. Celle-ci n’est au demeurant guère plus qu’un patois quasiment dépourvu de littérature. Le plus grand écrivain ukrainien fut Gogol, qui écrivait évidemment en russe et non en ukrainien.
Or, quand l’État juif a agressé l’Iran le vendredi 13 juin 2025, au début de la « guerre des douze jours », ainsi que le président Donald Trump l’a baptisée, évidemment sans déclaration de guerre, il a commis une violation du « droit international ». Ce n’est pas que celui-ci interdise la guerre, mais il demande qu’elle soit déclarée et que l’on puisse invoquer des raisons légitimes pour la faire. Or, l’agression israélienne ne respectait aucune de ces deux conditions. L’effet de surprise qui était recherché interdisait la déclaration de guerre, à supposer qu’Israël se soit soucié de ces convenances, et l’Iran n’avait causé aucun tort à l’État juif. Du moins directement, car il est vrai que l’Iran avait armé le Hezbollah au Liban et les houthis au Yémen. Mais cela ne suffisait pas pour en faire un belligérant, ou alors il faudrait admettre que la Russie est en droit de frapper la France, qui fournit une aide militaire à l’Ukraine…
L’assassinat de dizaines de dirigeants et de scientifiques iraniens est un crime de guerre. Si ce crime a été dénoncé quelque part chez nous, ce fut fort discret, car cela n’est pas parvenu à nos oreilles. Il est vrai qu’il est peu de choses par rapport à ce que l’État juif a fait subir aux Palestiniens du territoire de Gaza.
On sait que la cour pénale internationale (CPI) a lancé un mandat d’arrêt contre le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, pour « crimes contre l’humanité » et pour « crimes de guerre ». Le mandat a peu de chances d’aboutir puisque l’État d’Israël n’est pas partie à la CPI. On peut en outre contester la légitimité de la CPI et la notion de « crime contre l’humanité », mais peu importe : les faits sont établis.
L’attaque du Hamas perpétrée le 7 octobre 2023, présentée faussement comme un acte terroriste, fut un crime de guerre en réalité. Le Hamas était le gouvernement de l’État palestinien de Gaza, qui existait de facto, et non un mouvement terroriste. Il a commis un crime de guerre en tuant des civils israéliens. Mais cela ne justifie aucunement les crimes de guerre qui ont été commis au centuple par l’armée israélienne sous les ordres de Nétanyahou. Le ministère de la santé du Hamas a établi une liste nominative de 55.000 victimes civiles de la barbarie des Juifs sionistes. On peut certainement ajouter des victimes anonymes. À ce niveau, on peut parler de populicide (moins usité, le mot est plus français que « génocide »). Ce populicide, qui est, selon nous, un crime de guerre, est selon la doxa un « crime contre l’humanité ».
Les Palestiniens ont trouvé plus de défenseurs en France que les Iraniens. Il faut dire que les premiers ont infiniment plus souffert de la part de l’État juif que les seconds. Il serait excessif d’affirmer que personne n’a vu dans l’agression israélienne du 13 juin 2025 une violation du droit internationale, mais relativement peu l’ont dit, et s’ils l’ont dit, c’est timidement, presque en s’excusant. Il faut rétablir la vérité. L’agression de l’Iran par Israël était un acte condamnable et irresponsable qui n’avait aucune légitimité.
2. La démesure des ambitions israéliennes
Pourquoi cette agression ? Nétanyahou a avancé deux raisons : le programme nucléaire de l’Iran ferait peser une « menace existentielle » sur Israël ; l’attaque israélienne allait provoquer l’effondrement de la république islamique d’Iran et un changement de régime. Or, aucune de ces deux raisons ne résiste à l’analyse.
Même si l’Iran avait la bombe atomique, il n’en serait pas pour autant une « menace existentielle » pour Israël. Certes, l’Iran refuse de reconnaître l’État d’Israël et souhaite sa disparition en prenant fait et cause pour les Palestiniens par solidarité musulmane et parce que Jérusalem est un lieu saint de l’islam. Mais cela ne signifie aucunement que l’Iran veuille exterminer les Israéliens ! Peut-être les Iraniens rêvent-ils qu’un jour, alliés avec les pays arabes, ils pourraient réémigrer les Juifs en Europe ou en Amérique… Pure utopie. Quoi qu’il en soit, si l’Iran était doté de l’arme nucléaire, il n’aurait aucune velléité de s’en servir contre Israël, car, même s’il avait l’intention criminelle de la lancer sur de malheureux civils, il en serait dissuadé par le fait qu’Israël a lui-même une force de frappe et pourrait riposter. La dissuasion fonctionnerait parfaitement. Donc, l’argument de la menace existentielle est délirant et paranoïaque.
De surcroît, Israël n’avait tout simplement pas les moyens de détruire le programme nucléaire iranien. Il n’avait pas les bombes de quinze tonnes qui ont été larguées par les avions B2 des Américains et qui, elles, ont fait de sérieux dégâts aux trois sites attaqués. Et cela même ne saurait suffire à empêcher l’Iran de poursuivre son programme s’il le voulait. Il en a le savoir-faire. Du reste, le site de Fordo, qui était le principal, est enfoui sous une montagne. Par conséquent, les bombes américaines, qui s’enfoncent verticalement dans le sol sur des dizaines de mètres, n’ont pu détruire que les entrées et non le site lui-même.
L’ambition proclamée par Nétanyahou de mettre fin pour longtemps, sinon pour toujours, au programme nucléaire iranien était donc absurde. Cet homme est atteint par la démesure, hybris en grec. Il n’a pas fait ce qu’il disait vouloir faire et il a provoqué la riposte des Iraniens, qui ont lancé des centaines de missiles sur Israël, où ils ont fait des destructions impressionnantes. Comme d’habitude, on prête foi à la propagande d’Israël et on le surestime. Son fameux « dôme de fer », qui était censé le rendre invulnérable, était percé de trous.
Résultat immédiat, les binationaux qui étaient en Israël ont été nombreux à repartir. C’est ainsi que l’ambassadeur de France a organisé le retour de centaines de personnes. Or, l’idée fondatrice du sionisme, c’est de faire venir tous les Juifs du monde dans leur patrie. Les plus décidés ou les plus courageux ne se laisseront pas intimider par le danger qui est susceptible de venir de l’Iran, du Hezbollah ou du Hamas, sans parler des houthis, mais beaucoup d’autres seront enclins à s’en aller. Surtout, il est clair que l’alya, la « montée » vers Israël ne va plus faire recette pour les Juifs qui n’y sont pas encore. Autrement dit, l’aventurisme de Nétanyahou est de nature à saborder le grand projet sioniste. Son agression de l’Iran était irresponsable.
Nétanyahou a aussi prétendu qu’il avait pour objectif de renverser le régime iranien. On voit mal comment une attaque aérienne pourrait y parvenir. Au lendemain de la révolution islamique de 1979, la guerre avec l’Irak a au contraire renforcé le régime. Il est probable qu’il en sera de même après la guerre des douze jours en 2025.
On est frappé du degré d’infiltration de la société iranienne par les agents du Mossad, qui ont réussi à assassiner des dizaines de cibles, dirigeants ou scientifiques. Il est stupéfiant, à l’inverse, que le Mossad n’ait pas su prévoir l’attaque du 7 octobre 2023, qui avait forcément été préparée pendant des mois par des centaines de personnes. La différence prouve que, contrairement aux idées reçues, l’Iran avait jusqu’à présent laissé beaucoup de libertés aux opposants, ce qui n’était certes pas le cas du Hamas. Ainsi, le résultat le plus probable de l’agression israélienne sera le durcissement du régime, qui s’emploiera à museler ou éliminer son opposition.
3. Légitimité de la république islamique d’Iran
La révolution islamique de 1979 a démontré à quel point le chah d’Iran était coupé du peuple. Elle a été soutenue par une large majorité de la population et cela pour une bonne raison : les Iraniens sont de pieux musulmans chiites et la république islamique instituée par l’ayatollah Khomeiny est le seul régime qui puisse être légitime pour des musulmans chiites duodécimains.
Les musulmans sont divisés en trois courants, sunnites, chiites et kharedjites depuis la bataille de Siffin en 657. On peut négliger les kharedjites, relativement très peu nombreux. Les sunnites sont largement majoritaires : 85%. Les chiites ne forment donc que 15% du total des musulmans, mais ils sont très concentrés au Proche et au Moyen-Orient. Par définition, les chiites considèrent qu’Ali, gendre de Mahomet, était le seul calife légitime, c’est-à-dire « lieutenant » du Prophète après sa mort, mais Ali était en outre l’imam suprême, autorité incontestable et infaillible. L’idéal des musulmans, qu’ils soient sunnites ou chiites, est que le monde entier soit réuni dans un empire sur lequel doit régner le calife. Pour les chiites, après la mort d’Ali, l’imam suprême, qui est aussi calife, est nécessairement un de ses descendants en ligne masculine. Des querelles de succession ont engendré des schismes, qui sont à l’origine des zaïdites et des ismaéliens, mais la grande majorité des chiites sont dits « duodécimains » parce qu’ils croient à une succession de douze imams. Le dernier, Mohamed, n’est pas mort, mais « occulté » depuis le IXe siècle et il reviendra à la fin des temps. Il s’ensuit qu’en principe, pour les chiites duodécimains, qui sont 90% des Iraniens, tout régime politique devrait être tenu pour illégitime puisque seul l’imam est légitime et qu’il est caché. C’est ici que l’ayatollah Khomeiny a prouvé son génie en inventant le concept de « république islamique ». En l’absence de l’imam caché, celui-ci est représenté par un guide suprême, qui est inspiré par lui, en sorte que ce régime est tenu pour légitime. La doctrine de Khomeiny n’a pas fait l’unanimité chez les ayatollahs en raison de sa nouveauté, mais la plupart des mollahs et autres hodjatoleslams d’Iran, qui forment une sorte de clergé chiite, s’y sont ralliés et, avec eux, la quasi-totalité des fidèles.
C’est ici qu’il faut faire une distinction entre le gouvernement et le régime. On peut être hostile à Emmanuel Macron sans contester les institutions de la Ve république. De même, beaucoup d’Iraniens peuvent être opposés au gouvernement, mécontents qu’ils sont à cause des difficultés économiques, qui résultent notamment des sanctions américaines, sans pour autant remettre en cause le régime lui-même. La constitution est d’ailleurs assez complexe pour permettre des évolutions. Il y a un parlement monocaméral dont les membres sont élus au suffrage universel, un président, élu lui aussi comme en France au suffrage universel, un conseil constitutionnel, mais aussi, plus étrange pour nous, un guide suprême, qui est en quelque sorte le « vicaire » de l’imam caché. Ce fut l’ayatollah Khomeiny et, après la mort de celui-ci en 1989, l’ayatollah Khameneï, qui a quatre-vingt-six ans et qui règne donc depuis trente-six ans. Le guide est nommé par un « comité des experts », qui sont eux-mêmes élus par le peuple... sauf que, pour être candidat à une élection quelconque et en particulier à celle-ci, il faut montrer « patte verte » au conseil des gardiens de la constitution, les membres de ce conseil étant eux-mêmes nommés par moitié par le guide et par le comité des experts. Cette constitution établie par Khomeiny est donc mixte, à la fois monarchique, aristocratique et démocratique, comme le recommandait Aristote…
On écrit sans cesse avec acrimonie que la république islamique d’Iran est un régime « théocratique ». Mais forcément et c’est ce qui fait sa légitimité, car c’est l’islam qui est théocratique ! Mahomet n’était pas seulement un prophète, c’était aussi un chef de guerre et un chef d’État. Le Coran, complété par la Sunna, tient lieu à la fois d’Évangile, de code civil et de code pénal. L’islam ignore absolument la distinction entre l’Église et l’État. La notion de laïcité lui est parfaitement étrangère.
Les États arabes du Proche-Orient sont aussi théocratiques, à des degrés divers cependant. En effet, depuis la disparition du califat Ottoman, les musulmans sunnites n’ont plus de calife à qui se raccrocher. Le roi d’Arabie saoudite a beau être le gardien des lieux saints, La Mecque et Médine, il ne peut pas revendiquer la même autorité, mutatis mutandis, que le guide iranien.
Le régime iranien est donc légitime. L’ayatollah Khameneï est vieux et il n’est pas éternel. Mais sa mort naturelle, ou son assassinat, dont rêvait le ministre de la guerre de Nétanyahou, ne devrait pas changer grand-chose. « Le roi est mort, vive le roi ! » Le comité des experts élira un nouveau guide.
Le renversement du régime est donc peu probable. Il faudrait une invasion terrestre qu’Israël ne peut pas faire et que les États-Unis ne veulent pas entreprendre. Le seul scénario qui paraisse concevable est que le président, fort de sa légitimité démocratique, se rebelle contre le guide et fasse un coup d’État. Encore faudrait-il qu’il pût s’appuyer sur l’armée ou sur les gardiens de la révolution, ce qui est difficilement imaginable puisque l’une comme les autres ne sont pas sous son autorité, mais sous celle du guide.
Conclusion
L’armée israélienne a fait une belle démonstration de force pendant la guerre des douze jours, mais il ne faut pas la surestimer. Israël est sous perfusion des États-Unis, qui le finance et qui l’arme. Quand le président Trump a proclamé la fin des hostilités, le douzième jour, il n’a eu qu’à siffler pour que Nétanyahou rentrât dans la niche. Au total, on ne voit pas très bien ce que l’État juif a gagné dans cette aventure. Les commentaires emphatiques sur le remodelage du Proche-Orient ne riment à rien. Israël a bien décapité le Hezbollah, mais il serait hâtif de conclure que ce mouvement est définitivement à terre et qu’il ne pourra pas reconstituer ses forces. L’effondrement du régime de Bachar El Assad en Syrie doit tout à la Turquie et a donné le pouvoir à un homme d’Al Qaida. On est surtout sidéré de l’incapacité de l’armée israélienne à réduire la résistance du Hamas dans la bande de Gaza après plus de vingt mois de guerre, malgré la disproportion des forces en présence.
Le seul résultat tangible de l’aventurisme de Benjamin Nétanyahou est d’avoir porté atteinte au projet sioniste.
Personnellement j'aurais plutôt écrit : Israël est est sous perfusion des États-Unis qui le financeNT et l'armeNT.