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  • Photo du rédacteurMaurice Seclin

Percée du parti national-libéral Chega aux élections législatives portugaises

Le 10 mars dernier, les citoyens portugais ont voté pour élire les 230 députés de l’Assemblée de la République, parlement monocaméral de la République portugaise. 19 % des voix se sont portées sur le parti Chega (« Ça suffit » en français) d’André Ventura, assurant 50 députés à ce parti national-libéral. C’est une première dans la République portugaise, dominée par la gauche, tantôt socialiste, tantôt sociale-démocrate, depuis quarante ans, et où personne ne siégeait à droite du Parti Populaire de centre-droit à l’Assemblée avant 2019.


Wikipédia classe évidemment Chega à l’extrême droite, et le dit nationaliste, libéral, populiste et conservateur. Son site internet, partidochega.pt, permet de mieux connaître ses idées puisqu’il offre trois pages d’intérêt : son programme politique, son manifeste politique et sa déclaration de principes et d’objectifs .


Leur manifeste et leur déclaration de principe sont plus courts que leur programme et en reprennent les grandes idées, mais ils valent largement le coup d’être lus, en particulier le manifeste, proclamation passionnante en faveur du libéralisme et du nationalisme, déclaration de guerre à l’oligarchie et au laxisme judiciaire, ode à la tradition et à la démocratie.


Leur programme, quant à lui, commence par un préambule consacré à la morale où il est beaucoup question de responsabilité individuelle, mais aussi un peu de religion (avec une utilisation malheureuse du faux concept de judéo-christianisme, hélas), d'inviolabilité de la vie humaine (mais l'avortement n'est nulle part dénoncé explicitement), de solidarité (familiale avant tout, puis nationale, éventuellement européenne et internationale) qui peut être légitime mais ne fait pas partie des principes fondamentaux. Il y a un paragraphe contre la « victimisation » où le collectivisme et le cosmopolitisme ne sont pas distingués mais où les deux sont attaqués ensemble. La révolution russe semble être l'origine du mal, pour eux, et ils opposent la responsabilité individuelle à toutes les utopies de gauche.


La deuxième partie a un sous-titre étonnant : « Société ouverte et institution fermée ». Il y est question de séparation des pouvoirs, de démocratie, de liberté individuelle (« d'expression, d'association, intellectuelle, politique, artistique, économique, religieuse, d'enseignement, de presse »), d'un État qui doit laisser la société vivre et se concentrer sur ses fonctions régaliennes. Le paragraphe 10 parle de « société ouverte » positivement, ce qui est embêtant, mais avec une définition inhabituelle. Il y aurait une complémentarité entre la société, qui est le lieu de tous les possibles, et les institutions, qui doivent suivre des règles strictes. Les auteurs du programme veulent manifestement donner l'idée d'un équilibre entre la hiérarchie, l'autorité et l'ordre qui sont légitimes dans certains domaines mais ne doivent pas en étouffer d'autres, et la liberté.


La troisième partie est une auto-définition en cinq points. « CHEGA est de droite, conservateur, réformiste, libéral et nationaliste », dans cet ordre. Là encore, l'idée forte est la responsabilité individuelle. Leur conservatisme se réclame de Burke : « La société est en fait un contrat […] entre ceux qui vivent, ceux qui sont morts et ceux qui sont encore à naître. » « Réformiste » semble être ici synonyme de « démocratique » : ils ne veulent pas instaurer de dictature. Leur libéralisme se réclame simplement d'Adam Smith. Ils définissent leur nationalisme comme un attachement à l'identité nationale, sans aucune référence à la souveraineté.

 

Vient ensuite la déclinaison de ces principes dans chaque domaine, à commencer par la politique à proprement parler. L'État doit être limité, l'intérêt général prime l'intérêt des minorités, l'égalité est uniquement civique : « Les individus naissent égaux en droits et en devoirs, différents et divers dans tout le reste. »


En politique étrangère, ils se veulent mesurés : « CHEGA guidera la politique étrangère portugaise en tenant compte des intérêts permanents, des affinités idéologiques, des constantes historiques, du patrimoine culturel, des déterminismes géographiques et de l'évolution technologique. Compte tenu de l'appartenance actuelle à l'espace communautaire, la combinaison de ces six variables pointe vers une politique étrangère à cinq pôles, intégrant : (a) un espace méditerranéen sans s'y limiter ; (b) un espace atlantique sans en dépendre ; (c) un espace lusophone sans s'y faire d'illusions ; (d) un espace idéologique sans s'y reposer ; (e) un espace européen sans s'y anéantir. » Ils manquent de fermeté sur la question européenne, puisqu'ils espèrent réorienter l'Union européenne dans une direction moins cosmopolite, avec l'aide des pays d'Europe de l'est. Ils dénoncent en revanche le « Pacte suicidaire pour les migrations » qu'ils veulent « annuler immédiatement ». Ils ont jugé nécessaire de préciser qu’ils soutenaient Israël et s’inquiétaient d’une recrudescence d’antisémitisme.


Dans la partie consacrée à la société, ils disent craindre le déclin démographique et souhaitent une politique nataliste, rappellent que la famille naturelle se caractérise par l'union d'un homme et d'une femme (c'est nécessaire en 2024…) sans attaquer explicitement le faux-mariage homosexuel. Ils défendent l'autorité parentale, ainsi que l'autorité des professeurs, la méritocratie, l'éducation libre mais aussi l'accès à l'éducation pour tous. Ils entendent défendre l'identité portugaise et le monde rural, mais aussi « l'environnement », sans entrer dans les détails.


Ils insistent beaucoup sur l'autonomie de la justice et souhaitent également réduire le nombre de lois, accélérer les procédures judiciaires en diminuant certains recours, augmenter les peines des crimes violents, allant jusqu'à dire qu'ils refuseraient une coalition avec un parti qui s'opposerait à la perpétuité réelle pour les crimes les plus graves (c'est le seul point pour lequel ils mentionnent ce genre d'hypothèses). Ils défendent la police et l'armée.


Ils exigent une souveraineté totale pour le contrôle des frontières mais souhaitent conserver l'espace Schengen. Ils souhaitent une « immigration contrôlée », avec une préférence pour les lusophones, y compris d'Afrique noire. Ils dénoncent tout de même le « multiculturalisme » et affirment le droit du Portugal à préserver sa cohésion. Ils veulent la préférence nationale mais ne sont pas opposés à des visas « pragmatiques » qui bénéficieraient à l'économie portugaise. Ils souhaitent interdire les prêches islamiques hostiles à la civilisation occidentale. Ils souhaitent faciliter les expulsions et réduire les naturalisations.


Enfin, le volet économique est libéral : l’État doit intervenir aussi peu que possible, dépenser aussi peu que possible, se concentrer sur ses fonctions régaliennes. Il n’a pas pour rôle de redistribuer les richesses, ni de remplacer les formes privées de solidarité. La propriété privée est primordiale. Le socialisme est une plaie, l’économie de marché est vertueuse. Ils se réfèrent, pour défendre la liberté économique, à l’encyclique Centesimus Annus de Jean-Paul II, où le feu pape admettait que le capitalisme était une bonne chose, si ce que l’on désigne sous ce nom est « un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu'elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique ».


Ils veulent privilégier les entreprises familiales, sans pour autant mépriser les grandes sociétés anonymes. Ils admettent que l’État a un rôle dans la lutte contre la fraude et la concurrence déloyale, mais insistent sur leur volonté de réduire drastiquement la législation en général, et celle qui concerne l’économie en particulier, ce qui entraînera une réduction du chômage. Ils dénoncent la lutte des classes et entendent promouvoir la coopération entre employés et employeurs. Ils défendent aussi le libre-échange, favorable aux petites économies comme celle du Portugal. Ils admettent que l’État puisse venir en aide aux nécessiteux dans le seul cas où aucune autre institution n’a pu le faire. Ils souhaitent que l’État continue de proposer un système de retraites, mais qu’il puisse être concurrencé dans ce domaine. Toutes ces mesures doivent réduire mécaniquement la corruption, mais ils entendent aussi augmenter les peines dans ce domaine. En ce qui concerne la fiscalité, ils souhaitent un impôt sur le revenu à taux modéré et unique, et privilégient les taxes sur la consommation.


Cet examen rapide révèle un programme résolument libéral, conservateur et nationaliste. Les saillies du manifeste de Chega contre l’oligarchie montrent aussi que le parti mérite le qualificatif de populiste, dans le bon sens du terme. Bien entendu, ce programme n’évite pas quelques écueils communs : la référence au judéo-christianisme (et d'autres marques de judéo-servilité, souvent comme moyen de dénoncer les immigrés musulmans), la timidité quant à l'avortement (le manifeste parle de protéger la vie de la conception naturelle à la mort, mais le programme se contente de protéger la vie) et au mariage homosexuel, l'européisme (modéré), une aversion plus grande pour le collectivisme que pour le cosmopolitisme, le mépris de la question raciale (le manifeste contient même une dénonciation du racisme et de la xénophobie, absente du programme), quelques allusions écologistes (très vagues). Il n’en est pas moins l’un des programmes les plus nationaux-libéraux proposés par un grand parti occidental et, s’il était appliqué, améliorerait sans aucun doute grandement la situation du Portugal. Pour cette raison, nous l’avons ajouté à notre Portail national-libéral.

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